30/03/2010

Aufgang @ La Machine

Pour pouvoir écouter et voir Aufgang se produire sur la scène de la Machine du Moulin Rouge (ex-Loco) le 25 mars, il fallait tenir éveillé jusqu'à 23 heures. Mais qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour deux pianistes et un batteur qui travaillent l'électro comme jamais grâce à leur formation classique ?

Très simplement, Aymeric Westrich, Francesco Tristano et Rami Kalifé se sont installés aux pianos et à la batterie, comme s'ils ne voulaient déranger personne. Le public, se trouvant principalement autour du bar ou à l'étage dans l'espace V.I.P., profite des cinq premières minutes du premier morceau pour s'installer plus près de la scène. La disposition des pianos en face à face, et de la batterie au milieu et plus en arrière, est bien pensée : pendant tout le concert les pianos se parlent, se querellent et se réconcilient, avec la batterie pour médiateur. Les trois brillants musiciens échangent beaucoup de regards, de sourires et de plaisir. Ils partagent. De plus, il y a un véritable équilibre musical : si parfois la rythmique (également produite grâce à un Mac) est mise en avant, le dialogue harmonieux des pianos demeure bien présent.
Malheureusement, la majorité du public est éméchée, droguée ou juste inattentive, et c'est très énervant. Beaucoup sont là parce qu'ils ont été invités et qu'apparemment c'est hype d'aller voir Aufgang... Quand le groupe joue intensément, ça calme tout le monde ; mais dès que les mélodies se font plus douces, il est impossible de faire abstraction de cette rumeur permanente : c'est insupportable. Cependant, ces pianistes qui jouent de temps en temps debout, portés par la musique (et l'improvisation ?), ont l'air ravi, tout comme le batteur. Le public n'est en effet pas avare en applaudissements (mécanisme ou sincérité ?) et en redemande.
Sur scène, Rami n'épargne pas sa batterie et Aymeric et Francesco parcourent de leurs mains virtuoses des pianos à queue qu'ils s'échangent. Ils transpirent et se donnent entièrement pour prouver que le classique n'est pas l'ennemi juré de l'électro. Debouts, ils ressemblent parfois à des artistes au-dessus de leurs platines. Ils vont même jusqu'à plonger leur bras dans les entrailles de ces bêtes noires à touches noires et blanches, pour faire sortir les sons directement des cordes : impressionnant.

Le mot de la fin ? Le classique électro-expérimental d'Aufgang est transcendant.

29/03/2010

La Rafle - Roselyne Bosch

Quatre heures du matin, 16 juillet 1942, Paris. L'histoire de ce film, c'est l'Histoire. L'un des événements les plus honteux de l'humanité. Basé sur le témoignage de Joseph Weismann (joué par le prometteur Hugo Leverdez), Rose Bosch signe un film éprouvant mais larmoyant, historiquement indispensable mais cinématographiquement prescriptible.

Sous le gouvernement de Vichy, la police française, sur ordre de l'occupant nazi, rafle treize mille Juifs français dont quatre mille enfants. Ils sont entassés dans le Vélodrome d'Hiver pendant trois jours, avant d'être envoyés dans des camps de transit, puis déportés vers les camps de concentration.
Mais alors que les faits parlent d'eux-mêmes, que l'Histoire parle d'elle-même, il a fallu qu'on y rajoute une musique intensément émouvante. Les violons enfoncent les plus sensibles dans des sanglots à répétition et arrachent les larmes de ceux qui  avaient la gorge nouée devant tant d'horreur.
Cependant, il y a des points positifs indéniables. Et si la reconstitution du Vél' d'Hiv est impressionnante, la grande force du film réside dans le jeu des enfants et la place qu'on leur donne. Mention toute particulière aux jumeaux Mathieu et Romain Di Concetto dans le rôle du petit Noé Zigler, merveilleusement attendrissant. Les stars deviennent alors secondaires et assument très justement leur rôles : Jean Reno est stupéfiant dans une interprétation tout en retenue, Gad Elmaleh est crédible et touchant, et Mélanie Laurent impliquée et sincère. Chacun s'éclipse derrière son personnage et donne à voir le déchirement de ces milliers de familles, de ces milliers d'êtres humains.

Un film pour la mémoire.

25/03/2010

Peter Gabriel @ Bercy, New Blood Tour, "Orchestra - No Drums - No Guitars"

Il est toujours difficile de choisir entre deux possibilités à cause de la peur du regret. Mais il faut se dire que, quel que soit son choix, du positif et du négatif sortiront de l'un et de l'autre. Pour la soirée du lundi 22 mars 2010, il fallait choisir entre Phoenix à l'Olympia et Peter Gabriel à Bercy. Et finalement, un échange de salle aurait été parfait pour avoir un meilleur son. Seulement, on ne peut pas tout avoir, et si on prend le problème sous un autre angle, avoir le choix, c'est quand même un luxe, non ?


Le monstre sacré britannique, jouant la carte des souvenirs d'enfance et d'adolescence, et celle du mystère avec l'annonce de son concert "Orchestra - No Drums - No Guitars", gagne ma préférence devant la hype des petits frenchies de Versailles et leur Olympia.
Que d'excitation en entrant dans Bercy, même si le choix de la salle semble douteux... Se dire qu'enfin on va pouvoir entendre une voix tant entendue qu'elle en est devenue familière, et voir un génie qui continue d'innover après tant d'années, c'est rare. Le nom de cette tournée porte parfaitement son nom : New Blood. Oui, Peter Gabriel offre un nouveau concept de concert et une nouvelle vie à la musique : autant celle des autres avec son sublime album de reprises Scratch my Back, que la sienne.
À 20 heures, pendant que les retardataires s'installent, Peter Gabriel entre très modestement sur scène pour annoncer sa première partie, assurée par Ane Brun. Courte prestation puisque la chanteuse norvégienne jouera seulement deux chansons, seule avec sa guitare acoustique. Si sa musique n'est absolument pas désagréable, et qu'elle fera partie des secondes voix (avec Mélanie, la fille de Peter) pendant tout le concert, elle n'arrive pas à la cheville de Kate Bush sur Don't Give Up en fermeture du show.

Mais revenons au début, parce que le programme de la soirée est très organisé. Derrière un rideau de diodes électroluminescentes, on s'installe. Et alors que l'orchestre philharmonique entame les premières notes de Sledgehammer, et que le public exulte, Peter Gabriel entre sur scène et interrompt le morceau. Ce soir, on fait autre chose ; il avait prévenu tout le monde. S'exprimant en français, et ce pendant tout le concert, il dit que les tubes ce sera pour plus tard, et que pour l'instant, ils vont jouer Scratch my Back en entier (Peter s'aidera des paroles de chaque chanson sur papier).
Dès les premières notes de Heroes, le cœur se sert et la gorge se noue, comme à l'écoute de l'album. Il n'y a qu'un génie pour reprendre un génie et créer à nouveau la magie. C'est une pure merveille et je serais curieuse de savoir ce que Bowie en pense. Les premières larmes coulent sur ces paroles de The Boy in the Bubble : "Don't cry, Baby don't cry". La relecture de la chanson de Paul Simon est parfaite. Ensuite, Mirrorball (Elbow) et son arrangement digne d'une des plus belles musiques de film donnent ce genre de frissons qui n'en finissent plus. Le corps est tendu mais le doux piano de Flume l'apaise. De toutes les reprises de Peter Gabriel, c'est sûrement celle qui se rapproche le plus des émotions que donnait la version originale (par Bon Iver). Vient le mélange des sons graves et aigus de Listening Winds (Talking Heads). Les cordes se parlent et s'entremêlent, c'est une danse musicale magnifique qu'offre l'orchestre philharmonique de Radio France.
Scratch my Back est vraiment un album-concept à l'identité construite, équilibrée et harmonieuse. La chanson suivante en est la preuve, car si The Power of the Heart (Lou Reed) transmet une émotion forte, c'est avec une délicatesse infinie. Pas comme la force des montées de My Body is a Cage. Gabriel a réussi à donner cette maturité qui manquait à la version d'Arcade Fire. Sa force, c'est aussi de savoir transcrire l'espoir en mélodies et de redonner le sourire aux auditeurs et spectateurs. Alors que pendant toute cette première partie le visuel est basé sur une ambiance aux formes et aux lignes plutôt abstraites, à dominante rouge, sur The Book of Love (The Magnetic Fields), une jolie petite histoire animée illustre les paroles de la chanson, qui se finit sur une touche humoristique. De quoi détendre le public avant la triste I Think It's Going to Rain Today (Randy Newman) et l'intense Après Moi (Regina Spektor) qui débute magistralement dans un sursaut de trompettes. En ce qui concerne Philadelphia de Neil Young, Peter Gabriel l'a simplement remise au goût du jour, tout en finesse. L'album, et donc la première partie, se termine sur la reprise risquée de Street Spirit (Fade Out) de Radiohead : une beauté épurée, une nouvelle chanson qui n'a plus rien à voir avec l'indétrônable version de Thom Yorke.

Mais le public de Bercy peut-il sentir et ressentir la valeur et l'émotion de chaque note jouée ? J'en doute sérieusement. Il est loin d'être à la hauteur de la grande classe présente sur scène. C'est une grande déception que de constater le manque d'enthousiasme à l'écoute de Scratch my Back en live. De plus, comment faire comprendre à certains qu'on est venu écouter Peter Gabriel et pas eux ? Impossible sans se faire insulter : c'est le monde à l'envers ! L'égoïsme et l'irrespect sont de sortie et gâchent le concert des autres. Sans trop s'attarder sur le sujet, et pour le clore, une dernière preuve désolante : le public n'est réactif que sur les tubes Blood of Eden, Solsbury Hill et Don't Give Up.
Une deuxième partie constituée donc de ses anciennes chansons. La dynamique après San Jacinto et Downside Up en duo avec sa fille : Us, Us, Us, Up, Up, et un final sur Solsbury Hill extraite de son premier album, Car, mêlé à quelques notes de L'Hymne à la Joie (Beethoven). Un problème technique retardera de deux minutes le déroulement du show. Le rappel est bruyant et énergique, et c'est la voix de Youssou N'Dour qui se fait entendre ; belle surprise sur In Your Eyes donc : les deux sont tout sourire et s'éclatent. Et même si la voix de Youssou est puissante et claire, Peter n'a pas à rougir de sa performance. Les années passent et il conserve sa voix au timbre si particulier : une délectation pour les oreilles pendant tout le concert qu'il termine sur un petit cadeau au piano.
Malheureusement, même si l'album Up se prêtait admirablement à une adaptation orchestrale, n'ont été jouées que Darkness et Signal to Noise : deux pépites profondes au milieu des tubes dansants. Mais dans l'ensemble, comme pour Scratch my Back, il y a un vrai travail d'arrangement sur ses anciennes chansons, et cela ne fait que confirmer le génie de Peter Gabriel. Les archets ont touché les cordes comme s'ils frôlaient ma peau : frissonnant.


Peter Gabriel et l'orchestre philharmonique de Radio France auraient sans conteste mérité un Olympia ou une Salle Pleyel, et un public plus ouvert et moins nostalgique.

22/03/2010

Les Chèvres du Pentagone - Grant Heslov

Les Chèvres du Pentagone de Jon Ronson (journaliste anglais) avait un potentiel comique évident en révélant l'absurdité de certains programmes développés par l'armée américaine. Difficile à croire, mais l'histoire est fondée sur des expérimentations réelles, menées par des unités spécialisées dans les activités parapsychologiques. Le film de Grant Heslov le précise au début : cette histoire est bien plus vraie que ce que l'on pourrait penser.

Les Chèvres du Pentagone, c'est d'abord un titre un peu surréaliste et une affiche au casting époustouflant mais qui ne se prend pas au sérieux. Dans la lignée de Burn After Reading, ce long métrage aurait pu être réalisé par les frères Coen si ces derniers n'étaient pas tombés dans la lourdeur avec A Serious Man. Grant Heslov, dont c'est le premier film, ressuscite cet humour sans prétention, farfelu et à prendre parfois au soixante-quinzième degré.
Cependant, le scénario n'est pas très travaillé : on a plutôt l'impression d'assister à une succession de scènes servies par une bonne bande originale. Bob Wilton, journaliste désespéré, fait la rencontre de Lyn Cassady, soldat aux pouvoirs paranormaux déployés grâce à son ancien chef d'unité, Bill Django. On ne sait pas vraiment où le réalisateur veut emmener le spectateur, alors on se laisse aller à n'apprécier que le jeu des acteurs. Et voir Clooney parler de sa condition de chevalier Jedi à McGregor (Obi-Wan Kenobi dans Star Wars), c'est pathétiquement hilarant.
Faites pousser une moustache à George Clooney (Fantastic Mr. Fox, In the Air), il devient un ancien soldat imperturbable dans le sérieux de son délire. Tressez les cheveux de Jeff Bridges (prochainement dans Tron Legacy), il se transforme en lieutenant colonel hippie tentant de répandre son idéologie utopiste. Donnez un second rôle à Kevin Spacey (Usual Suspect, American Beauty, La Vie de David Gale), il reste parfait. Quant à Ewan McGregor, vu récemment dans I Love You Phillip Morris, il n'est pas le héros du film mais l'incarnation du spectateur : halluciné par ces découvertes improbables.

Mais il ne faut pas oublier le message que le film porte en lui : la toute puissance revendiquée des États-Unis tombe souvent dans une débilité absolue.

20/03/2010

I Love You Phillip Morris - Glenn Ficarra & John Requa



La question principale que pose le premier film de Glenn Ficarra et John Requa (en tant que réalisateurs) est : jusqu'où peut-on aller par amour ? Steve Russell, policier et père de famille modèle, fait un coming out tardif à la suite d'un accident de voiture. Afin de subvenir à ses besoins de nouveau gay, il défie la loi, ce qui l'amène à être incarcéré pour fraudes et usurpation d'identité. C'est en prison qu'il rencontre l'homme de sa vie, Phillip Morris, pour lequel il sera prêt à tout.

L'installation de l'histoire aurait mérité plus de subtilité et moins de vulgarité. On reste alors dubitatif devant une entrée en matière bancale. Mais ensuite, on se laisse aisément emporter dans cette comédie mélodramatique touchante. Dès l'apparition d'Ewan McGregor, le jeu de Jim Carrey prend tout son sens : la surprenante discrétion du premier mettant en valeur l'exubérance du second.
La performance de ces deux acteurs montre que l'on peut s'écarter de son statut de star et produire quelque chose de nouveau et de rafraîchissant sans tomber dans les clichés. Le couple Carrey-McGregor semblait improbable ; il fonctionne à merveille tant dans les moments comiques que dans les moments dramatiques. Et cette constante oscillation, qui multiplie les ruptures narratives, témoigne d'une belle direction artistique.
En revanche, certaines scènes ne sont pas indispensables et le film perd de sa vivacité. De plus, le public ne rit pas toujours aux bons moments. Certes, il y a des passages drôles dans I Love You Phillip Morris, mais le fait d'être homosexuel n'est pas amusant, si ? Peut-être est-ce le signe d'un malaise que de rire pendant les moments attendrissants que vivent ces deux hommes... Pourtant, ce n'est qu'une histoire d'amour entre deux personnes.

Inspiré d'une histoire vraie, c'est probablement ce détail qui rend le film aussi intéressant.

17/03/2010

Fantastic Mr. Fox - Wes Anderson

Wes Anderson adapte en film d'animation, image par image, le livre de Roald Dahl : Fantastique Maître Renard. Et ce Fantastic Mr. Fox se révèle étrangement charmant. Rusé mais rangé depuis son mariage, Mr. Fox est tenté par un dernier coup, douze ans après la naissance de son fils, et décide de voler les biens de ses trois voisins fermiers (plus bêtes que les animaux du film).

À l'heure du numérique, l'œil n'est plus habitué au travail artisanal de l'image animée. Si les premières minutes du film peuvent provoquer un effet de recul, on se laisse finalement transporter très vite dans l'histoire et son univers si singulier. On pourrait débattre autour de la question de l'image, mais dans le fond, il y a une référence à la peinture qui se retrouve davantage dans l'humour. En effet, les touches humoristiques sont distillées à la manière du pointillisme, et l'on sourit souvent mais discrètement. Ainsi, tout en finesse, le film forme un ensemble piquant mais sans perdre de son charme.
Un charme également présent dans la voix de Mr. Fox, grâce au remarquable George Clooney (In The Air). D'ailleurs, si Anderson réussit à humaniser ces animaux, c'est parce qu'il a enregistré les voix non en studio mais en situation, et qu'il a créé les marionnettes en s'inspirant des acteurs. Aussi une énergie étonnante se dégage-t-elle de ce long métrage d'animation.
Quant à la bande son, en partie enregistrée dans les fameux studios Abbey Road, c'est une réussite, tant au niveau des choix d'Alexandre Desplat, qui continue depuis quelques années son très bon travail aux États-Unis, qu'au niveau des morceaux connus (Rolling Stones et Beach Boys entre autres). Dans l'ensemble, le rythme du film est donc vif et entraînant. Et sans être le film de l'année, Fantastic Mr. Fox reste très agréable.

Une question subsiste cependant : pensez-vous que l'hiver sera rude ?

15/03/2010

Fanfarlo : décevant en live.




Le 11 mars 2010, l’Album de la Semaine a été insatisfaisant. J'attendais peut-être trop de Fanfarlo. Leur musique semblait être faite pour le live, mais le résultat est mou et sans grande originalité. Seule une chanson sort du lot, la première, qu'ils rejoueront en rappel.

Arrivés assez tard pour avoir manqué leur avion le matin même, les membres du groupe ont fait leur soundcheck devant un public pas encore tout à fait installé. Fanfarlo est une formation d’indie pop-folk basée à Londres, créée par Simon Balthazar. Très bon chanteur et musicien, ce dernier s’entoure d’un (mauvais) batteur, d’un bassiste au look très étrange, d’une violoniste-claviériste discrète, et d’un bon trompettiste-claviériste. Ils enchaînent sept titres de leur album sorti en 2009, Réservoir, sans réussir à trouver l’étincelle ou à donner la moindre émotion. Certes, quelques notes de violon, de guitare et de trompette attirent l’oreille, mais l’ensemble est plat. À vouloir en faire trop, le groupe perd son auditoire qui peine à trouver une quelconque authenticité.
L’Album de la Semaine est l’endroit idéal pour découvrir des groupes en live, et cela permet de décider si oui ou non ils méritent qu’on les suive de près ou qu’on aille les revoir en salle. À cette deuxième question, cette fois-ci, la réponse est non. 

Malheureusement, Fanfarlo a offert une prestation dont on ne garde pas un souvenir impérissable.

La setlist :
1. The Walls Are Coming Down
2. Finish Line
3. Harold T. Wilkins
4. I'm a Pilot
5. Ghosts
6. Comets
7. Luna
Encore : The Walls Are Coming Down

14/03/2010

Shutter Island - Martin Scorsese

Martin Scorsese adapte Shutter Island de Dennis Lehane, écrivain qui avait respectivement inspiré Ben Affleck et Clint Eastwood, avec ses livres Gone, Baby Gone et Mystic River. Scorsese retrouve Leonardo DiCaprio (Gangs of New York, Aviator, Les Infiltrés), et donne dans le thriller psychologique oppressant. L'US marshall Teddy Daniels et Chuck Aule, son nouveau partenaire, doivent enquêter sur la disparition mystérieuse d'une détenue, au sein d'une prison psychiatrique pour dangereux criminels. Placée sous haute sécurité, cette prison est aussi sur une île ; lieu éloigné et idéal pour traiter les thèmes du secret et de la conspiration dans une atmosphère claustrophobique.

Mais comment ne pas entrer complètement dans le film avec une telle scène d'introduction ? Doucement et subtilement, le réalisateur installe le spectateur dans le sujet sombre et complexe qu'il va développer. On peut évidemment parler de manipulation, mais c'est pour le plus grand plaisir du public.
De plus, les différents niveaux de lecture que Shutter Island propose sont sublimés par la musique, les décors, la lumière, la photo, les costumes, le casting... Et tous les détails, tous, sont maîtrisés à la perfection. Rien n'est laissé au hasard et tout peut basculer en un seul plan. L'incertitude qui règne est entretenue par une mise en scène suscitant la paranoïa. Entre raison et folie, entre onirisme et réalité, Scorsese jongle habilement et maintient l'attention.
Si le réalisateur américain fascine autant, c'est parce qu'il travaille la question de la perception et qu'il donne au cinéphile de multiples pistes de réflexion. D'autre part, il intègre une dimension historique (la Shoah) qui interagit avec la narration principale dans le but de montrer une humanité intrinsèquement violente. Finalement, dans une ambiance parfois hitchcockienne, et en faisant référence au cinéma des années 40 et à celui, plus récent, de Kubrick ou de Lynch, Scorsese réalise un film sur la culpabilité et la manière de l'accepter.

Shutter Island fait partie de ces films à voir et à revoir. Un chef-d'œuvre.

09/03/2010

Vampire Weekend @ Olympia


Le premier Olympia des talentueux Vampire Weekend a été un triomphe. Quels mots peuvent décrire un tel moment ? Difficile à écrire... On peut toujours commencer par la première partie, tout l'inverse des quatre New-Yorkais.


À 20 heures, donc, Fan Death. Trois filles et deux garçons habillés en noir arrivent motivés sur scène. Mais ces Canadiens ennuient malgré les efforts de la chanteuse à gesticuler une chorégraphie hideuse. Une nouvelle fois, j'ai la mauvaise surprise de devoir assister à une prostitution de la musique. C'est toujours la même chose : une mauvaise électro-pop aux synthés dépassés, chantée par une fille vêtue d'une minijupe ? Ceinture ? Il n'y a guère que la violoniste (qu'on n'entend pas assez) et le batteur (impressionnant notamment sur un solo à la double pédale) qui assurent. Mais à part ces deux musiciens et le petit E.T. qui trône sur la batterie : que font-ils sur la scène de l'Olympia alors que tant de groupes méconnus mériteraient d'être à leur place ? Ils se font des private jokes et s'éternisent. Une personne dans le public crie : "Vampire". La chanteuse rigole alors comme une cruche et lance un "merci" étrangement impoli.

Après une quarantaine de minutes, l'Olympia annonce enfin les vingt minutes d'entracte. La scène change d'allure, même si les lustres (comme celui de la pochette de Vampire Weekend) étaient déjà là. La salle est pleine à craquer.

Les quatre petits Vampire font une entrée détendue et souriante sur quelques secondes de Jump Jump (le titre hip-hop old school de Kriss Kross), avant qu'un drap blanc ne tombe et dévoile une immense toile de fond représentant la pochette de Contra (les yeux lumineux de la jeune fille changeront de couleur de temps en temps). Le ton de la soirée est donné. On sourit déjà, on a envie de s'amuser, de sauter, de chanter, de profiter. J'ai ce sentiment qu'ils ne décevront pas. Ils commencent par White Sky, le son est parfait, la voix d'Ezra est posée et on oublie tous ses soucis ! Ensuite, le rapprochement est facile, mais Holiday confirme cette sensation d'être en vacances en pleine semaine. Chris (le batteur) est en pleine forme et touche parfaitement ses fûts et cymbales. Plus douces mais pas moins jolies, Cape Cod Kwassa Kwassa et I Stand Corrected rappellent que le premier album est vraiment un chef-d'œuvre. D'ailleurs, ce sont les premières notes de clavecin d'M79 qui soulèvent un enthousiasme nostalgique : frissonnant.
Mais Vampire Weekend a bien un excellent deuxième album à la hauteur, qui prend tout son sens en live. Ils le défendent très bien, notamment avec California English dont l'exotisme se retrouve, sous une autre forme, jusque dans la voix pleine d'effets d'Ezra : un détail qui compte et qui n'est avantageusement pas surexploité. Ensuite, parce que "la famille c'est très important" (en français dans le texte), Cousins résonne dans l'Olympia : pas de répit pour le public qui se reposera pendant une étonnante version de Taxi Cab. Les quelques petits problèmes de son de Rostam (le claviériste) ont été rapidement oubliés grâce au toucher de (l'autre) Chris (le bassiste) faisant murmurer les cordes de son violoncelle. Comme sur l'album, ils enchaînent avec Run, mais j'ai l'impression d'être l'une des rares à connaître Contra sur le bout des doigts. En effet, le public réagit plus aux chansons suivantes, A-Punk et One (Blake's got a new face), pendant lesquelles il fait respectivement trembler le sol en sautant puis les murs en reprenant le fameux "Blake's got a new face" : un bel échange ! Vampire Weekend glisse un Diplomat's Son qui répond à l'envie qui suit la folie : la douceur chaleureuse. Puis, Ezra (pieds nus dans ses chaussures et le pantalon remonté !) annonce une vieille chanson pour faire plaisir aux fans de la première heure qui connaissent Boston (Ladies of Cambridge), un bonus existant uniquement sur la version japonaise de Vampire Weekend. Une agréable surprise tranchant complètement avec le nouveau single, Giving up the gun, dont la mélodie sonne comme un au revoir.
Un tel final aurait pu être acceptable, mais les généreux membres de Vampire Weekend ne se contentent pas du peu. Ils sont vraiment heureux d'être là : le batteur ri d'une sincère félicité et sa joie de vivre déteint sur les autres. Ils terminent sur Campus et Oxford Comma (toutes deux jouées partiellement) : impossible de ne pas penser aux lives de l'Album de la Semaine et du Main Square en 2008... Enfin, ils ont l'air d'être réellement attachés à leur première production car, après une pause d'applaudissements mérités, même s'ils reviennent jouer l'efficace Horchata, c'est avec Mansard Roof et Walcott qu'ils finissent de combler l'Olympia. Les lumières se rallument rapidement, mais les sourires béats ne disparaissent pas.


Cette soirée du 25 février 2010 a été euphorisante ; je n'attends plus maintenant que le jour ou j'aurais le plaisir de me faire bercer en live avec I Think ur a Contra...

05/03/2010

Brothers - Jim Sheridan



Avec ce remake du Brødre de Suzanne Bier (sorti en 2004), Jim Sheridan fait preuve d'un excellent travail sur la direction d'acteurs. Il filme avec finesse et subtilité sans jamais tomber dans le pathos. Et s'il traite le problème politique sans s'y attarder, c'est pour se concentrer sur l'humain et le relationnel. D'ailleurs, le titre ne trompe personne : Brothers. Le réalisateur irlandais signe un long métrage magnifique, d'une puissance émotionnelle rare.

Un militaire américain et père de famille équilibré part en Afghanistan. Présumé mort, son frère (tout juste sorti de prison) s'occupe de sa femme et de ses deux enfants, et devient un oncle et confident modèle. L'histoire est simple mais profonde, et surtout, elle est portée par trois acteurs irréprochables : Tobey Maguire (Sam), Natalie Portman (Grace), et Jake Gyllenhaal (Tommy). Sans oublier la juste performance de Bailee Madison et Taylor Geare (les deux petites filles). Car, alors que tous les adultes sont joués tout en retenue, la faille puis l'explosion passent par les enfants. De la belle ouvrage sans excès.
Quant aux scènes en Afghanistan, elles sont poignantes de réalisme : impossible de se rassurer avec des artifices. Lorsque Sam rentre chez lui, après des mois de torture physique et psychologique, il est dévasté, hanté par des souvenirs atroces et rongé par la culpabilité. On se retrouve devant un Tobey Maguire amaigri et métamorphosé. Colérique, paranoïaque et maniaque, Sam subit encore les effets de la guerre, enfermé et seul dans ses tourments.
Et malheureusement, l'Histoire se répète. En atteste le rôle du père de Sam et Tommy (interprété par Sam Shepard), ancien militaire ayant survécu aux horreurs de la guerre du Vietnam. Une question revient : peut-on reprendre le cours normal de sa vie après avoir vécu un grave traumatisme ? La violence à outrance a tué une partie de Sam, et le film se termine sur une phrase parfaite, une lueur d'espoir dans une vérité inquiétante.

Hormis le choix d'une chanson de U2 dans la bande son, où sont les points négatifs ?