30/09/2011

Drive - Nicolas Winding Refn

Des films comme Drive, il y en a peu. Très peu. Toute la beauté cinématographique est condensée dans ce long métrage signé Nicolas Winding Refn. Celui-ci y intègre émotion, action, violence, romantisme, drame... tout en jouant sur l'ambiance des films urbains des années 1970, mais aussi sur le style série B qui lui permet quelques coupes scénaristiques. C'est là la force du réalisateur : il utilise ses références à bon escient pour adapter sans esbroufe le roman de James Sallis.

Il faudrait la longueur d'une thèse pour rendre hommage à Drive, car Nicolas Winding Refn réussit à digérer le meilleur du cinéma américain et le meilleur du cinéma européen pour en faire une merveille du septième art. Une leçon. La séquence déjà culte ? Celle de l'ascenseur, d'une intensité tétanisante.
Cette poésie mélancolique divine est principalement incarnée par Ryan Gosling. Parfait étant un faible mot (ayant perdu de sa superbe à force d'être trop et mal usité), on opte, afin de le définir au mieux, pour prodigieux, magistral, fascinant, phénoménal et charismatique. Son personnage, dépourvu de prénom (et de passé), agit selon ses propres règles et ne parle que lorsque c'est utile. Nicolas Winding Refn peut ainsi travailler les silences et mettre l'accent sur les regards qui en disent plus que les mots, et également sur le son et une bande originale idéale parce qu'elle fait corps avec le film : Kavinsky, College feat. Electric Youth, Chromatics, Desire, etc., sans surenchère ni faute de goût.
Il n'y a d'ailleurs aucune erreur nulle part dans Drive. Le moindre détail est pensé. De la typographie rose manuscrite du titre à la musique eighties en passant par la finesse d'interprétation, la photographie séduisante (Newton Thomas Sigel) et la nervosité du rythme faussement calme. Et quand vient le générique de fin, on demeure immobile au fond de son siège, souhaitant ne jamais sortir de cet univers et pensant que rien n'est venu gâché ce moment.

Un pur chef-d'œuvre.


Ryan Gosling :
Blue Valentine

Carey Mulligan :
Never Let Me Go
Brothers

28/09/2011

Mon Rock en Seine 2011

On reprend Rock en Seine là où on l'a laissé en 2010 : il pleut et il fait froid. Cette année, le site s'est agrandi : une nouvelle scène (Pression Live) accueille des groupes, et pas des moindres ; il faut donc bien programmer ses journées, et courir un peu pour certains, afin de perdre le moins de bonne musique possible. Néanmoins, la programmation n'étant pas des meilleures (personne n'a dit mauvaise), le festival devrait se vivre, dans l'ensemble, plutôt tranquillement.


Vendredi 26 août

Edward Sharpe and the Magnetic Zeros
C'est Edward Sharpe and the Magnetic Zeros qui ouvre le festival. Dix artistes illuminés se sont installés sur la nouvelle scène ; ils livrent généreusement quelques chansons festives, tout en complicité. Le groupe compte deux batteurs, mais pas un de trop. Rien n'est de trop, d'ailleurs, dans le travail de ces musiciens. Détendu, blagueur, un peu fou, le chanteur décide de s'asseoir au bord de la scène le temps d'une ballade, avant de communier joyeusement avec le public et ses amis sur une longue version de Home. Les festivaliers sont enchantés.

Beatmark
Mis à part le fait qu'à la batterie se tient une demoiselle, le groupe n'a rien d'exceptionnel. La musique qui résonne autour de la scène de l'Industrie fait même fuir le public. La chanteuse n'a pas de voix, on n'entend pas bien le chanteur et l'ensemble n'a aucune âme. Autant aller voir l'exposition des photographies de Renaud Monfourny, tomber sur un concert de Game Boy, écouter distraitement Herman Dune qui aurait mérité un rayon de soleil ou les énergiques membres de Funeral Party.

The Kills
Malgré un dernier album décrié, Alison Mosshart et Jamie Hince assurent en live. Et même s'ils ne dégagent plus la même passion qu'avant, le son reste sale et profond. En bref, ça sonne. La voix de Hotel est un peu en retrait, mais sa guitare cinglante donne toute sa puissance. Quant à VV, elle est tout simplement envoûtante dès son apparition sur scène. Et le charme opère pendant tout le concert, soutenu par une voix délicieusement rock. VV est fascinante, et rien que pour cela, on irait presque revoir The Kills à l'Olympia.

General Elektriks
À peine le temps de profiter de la belle ambiance que General Elektriks a créé sur la scène de la Cascade que les premières notes des Foo Fighters se font entendre. On reste cependant pour assister au final sur une version déchaînée du très bon Tu m'intrigues et un solo de batterie, mais Rope résonne maintenant au loin, alors on se précipite vers la Grande Scène.

Foo Fighters
Il est toujours difficile de mettre des mots sur une situation surprenante. Évidemment qu'on s'attendait à une performance énorme de la part des Foo Fighters. Évidemment qu'on savait que Dave Grohl allait faire des blagues. Évidemment qu'on espérait qu'il prenne autant son pied au chant et à la guitare cette année qu'en 2009 à la batterie avec Les Petits Pois (Them Crooked Vultures). Mais là... Entre quelques notes de Whole Lotta Love de Led Zeppelin, des délires de gamins (pet avec la bouche, crachat après l'avoir introduit par un noble "ladies and gentlemen"...), rires, hurlements, chuchotements, battle de guitares se terminant par des jets violents d'instruments, présentation approximative de musicien ("What a man what a man on the drum : the drummer !"), descente de bières, etc., les Foo Fighters ont proposé une playlist interminable : Bridge Burning, Rope, The Pretender, My Hero, Learn to Fly, White Limo, Arlandria, Breakout, Cold Day in the Sun, Long Road to Ruin, Stacked Actors, Walk, Monkey Wrench, Let it Die, These Days, Best of You, Times Like These, Young Man Blues (Mose Allison cover), All My Life et Everlong, quelques fois ponctuée de solos impressionnants de batterie et de guitare. Dave Grohl avait prévenu le public de Rock en Seine : le groupe allait jouer autant de "fucking songs" qu'il le pouvait. Les Foo ont largement dépassé le temps qui leur était réservé : ils n'étaient pas "ready to go home", et personne ne s'en est plaint ! On aurait dit un concert de clôture de festival, alors on a fait l'impasse sur Yuksek (comment quitter Dave dans ces conditions ?). Musicalement, on aurait presque envie de ne rien dire, tant la qualité de ces musiciens est époustouflante. Ils passent de la bêtise au professionnalisme avec une aisance rare. Tous. Une seule question demeure : pourquoi n'ont-ils pas enregistré le dernier album, Wasting Light, en live ? Ils ont fait sonner leurs nouvelles compositions de telle sorte que l'on regrette amèrement la production trop propre réalisée en studio. Ce soir du 26 août 2011, c'était rock ; c'était maîtrisé en même temps que crade et puissant. Et ça fait du bien d'entendre un peu (plus de deux heures, quand même) de musique vigoureuse délivrée par un groupe capable de donner un sens et une âme à ces bruits.


Samedi 27 août

The Streets
On a manqué Polock, on s'est posé dans l'herbe, puis il y a eu la pluie et les BB Brunes de très loin. Et on se demande encore si c'est l'humidité et le froid qui donnaient des convulsions... Heureusement, Mike Skinner, accompagné de ses musiciens, a réchauffé la foule de la Grande Scène. Et les minettes présentes pour Interpol, incapables d'apprécier la bonne musique si ce n'est pas leur style, se sont ensuite régalées à dévorer des yeux le torse nu du chanteur. The Streets, qui avait remplacé Amy Winehouse il y a quelques années et qui remplace Q-Tip cette fois-ci, a mis une ambiance incroyable pour son tout dernier concert en France. Mike, avec son accent anglais charmant, son flow entraînant et son énergie intarissable, a rendu hommage a Amy Winehouse, s'est jeté dans la fosse et a fait participer le public qui s'est accroupi pour se relever en même temps et sauter en rythme avant de réalisé un circle pit. Une performance chaleureuse et réjouissante, qui a même fait naître un rayon de soleil à travers les nuages.

Interpol
Paul Banks a la classe, toujours. Vêtu de noir et de Wayfarer, il a envoûté... eh non. Si l'on veut poursuivre et parler musique, on risque de dire du mal d'un groupe pourtant efficace sur album (hormis le dernier, décevant). Seuls les fans hardcore ont pu apprécier la prestation plus que sobre du groupe. Interpol n'est peut-être pas fait pour les festivals, surtout en plein après-midi après la tornade Skinner... On ne passera pas Obstacle 1. Aucun regret à se diriger progressivement vers la scène Pression Live, afin de ne pas entacher le souvenir du concert de 2007 au Zénith de Paris.

Wu Lyf
Le concert de Wu Lyf n'a pas encore commencé et le parterre faisant face à la scène est déjà rempli. On peut néanmoins se faufiler et trouver une petite place dans les premiers rangs, pour vivre pleinement l'expérience live tant attendue, le premier album, Go Tell Fire to the Mountain, étant très prometteur. Après le baptême viennent la communion et la confirmation. La prestation de Wu Lyf a fait voyager l'esprit et transpirer les corps. Certains festivaliers ont été transcendés et ont intensément demandé un rappel. Wu Lyf n'est pas revenu, mais n'a pas déçu. On espère que ça durera !

Arctic Monkeys
Une foule compacte assiste au concert de Arctic Monkeys. Et pour cause : les Anglais (après les Américains d'hier soir) rappellent (eux aussi) à tout le monde ce qu'est le rock. Côté technique, le son et la voix sont clairs, la batterie est mise en avant ; et côté composition, le rock garage brut des premiers albums s'est enrichi de nouvelles influences (merci Josh Homme). La fougue du groupe est toujours là, et le charisme l'a rejoint. Le talentueux leader, Alex Turner (qui a récemment composé la bande originale de Submarine), ose même l'humour en présentant la chanson Ne t'assoie pas j'ai bougé la chaise, et en reprenant cette traduction pendant le morceau. Ou comment charmer les Français(es)... Les Arctic Monkeys se sont permis un rappel, et Alex a eu l'élégance de remémorer à tous que son ami Miles Kane jouait le lendemain. On aurait aimé une surprise les réunissant sur scène, il en a été autrement et personne ne râle. 

Étienne de Crécy
Même si la fatigue se fait sentir, on ne peut s'empêcher de faire un arrêt à la scène de la Cascade. Dans son cube, Étienne de Crécy s'est probablement produit longtemps devant les festivaliers les plus tenaces, mais trente-cinq minutes ont suffi pour exhumer un souvenir de 2007 au Château de Versailles : il n'a pas changé et fait toujours partie des très bons du monde de l'électro. On s'éloigne peu à peu du site, mais une nouvelle escale s'impose : depuis le pont de Saint-Cloud, on entend Let's Dance to Joy Division de The Wombats. D'autres souvenirs remontent. Sourire.


Dimanche 28 août

The Vaccines
Le programme de la journée est bien plus chargé que celui d'hier. Et ça commence à 15 heures sur la Grande Scène avec The Vaccines. On avait découvert ces petits Anglais à La Flèche d'or le 17 décembre 2010, et on attendait d'en voir plus (comme Dave Pen d'Archive sur le côté de la scène !). Après ce Rock en Seine, on ne les suivra plus de si près. Leur fraîcheur a vite périmée. Même si la voix du chanteur est revenue (le concert était menacé parce qu'il était malade) et que le guitariste s'est motivé à descendre de scène pour aller saluer son public, le bassiste est toujours aussi lisse et le batteur presque absent. Le groupe n'a qu'un album et ses chansons sont courtes : il a donc joué seulement trente-cinq minutes, mais finalement, c'est mieux comme ça. Car en plus d'un manque total d'émotion, le son était mal réglé, notamment les aigus déchirant les oreilles.

Cat's Eyes
Les problèmes de son continuent de sévir. Sur la scène Pression Live, après les larsen, c'est le volume qui gâche la magie musicale de Cat's Eyes. Les guitares sont bien trop mises en avant et désavantagent cruellement les voix. Une solution vient à l'esprit : s'éloigner le plus possible. Une fois installé derrière, c'est effectivement mieux, mais les basses vrombissent toujours dans la poitrine. Le seul moment de grâce vient avec la douce The Lull, magnifiquement interprétée par Faris Badwan et Rachel Zeffira.

Simple Plan
On revient aux abords de la Grande Scène pour la petite blague de la journée : la présence de Simple Plan. Après les groupes The Offspring en 2009 et Blink-182 en 2010, on avait parié sur Good Charlotte ou Sum 41 pour l'édition 2011. C'est Simple Plan qui a été choisi pour rappeler leur adolescence à certains festivaliers. Même si l'on n'aime pas la musique du groupe et que le mauvais réglage du son pousse à mettre des bouchons d'oreilles, force est de constater que ces Québécois ont envie de communiquer leur joie de vivre et vont jusqu'à reprendre Fuck U de Cee Lo Green, une chanson de Taio Cruz et Raise Your Glass de Pink pour contenter un maximum de personnes. L'ensemble est kitsch, racoleur, commercial, mais c'est drôle (le chanteur porte paradoxalement un tee-shirt de l'édition japonaise du Unknown Pleasures de Joy Division) parce qu'il n'y a aucune mauvaise intention derrière. D'ailleurs, au-delà du plaisir "intense" (les initiés comprendront) d'entendre parler français avec l'accent québécois, on ne peut s'empêcher de reprendre quelques paroles de Welcome to My Life... Honte avouée à moitié pardonnée ?

Cherri bomb
Une honte vite digérée quand on assiste à celle de Cherri Bomb sur la scène Pression Live. Les quatre jeunes filles chantent et jouent faux à quatre-vingt-quinze pour cent du temps. C'est un supplice pour les oreilles. Et en plus, elles ont osé massacrer The Pretender des Foo Fighters. Il faut fuir pour ne pas sombrer dans une dépression musicale.

Miles Kane
L'un des meilleurs concerts du festival arrive à point nommé, mais aurait mérité un espace plus grand que la scène de l'Industrie. Le sauveur s'appelle Miles Kane, il est souriant, détendu, content d'être là, investi, et joue les morceaux de son excellent premier album, Colour of the Trap, avec autant de classe qu'un miniBeatles. Ce qu'on avait écrit de lui après son passage à l'Album de la Semaine le 29 mars 2011 est toujours vrai. Et on a hâte de le revoir et de le réécouter, encore et encore.

The Horrors
Faris Badwan est de retour avec son groupe The Horrors sur la scène Pression Live. Il semble que la prestation avec son side project Cat's Eyes ait servi de test son... Puissantes sans être désagréables, les guitares saturées se mêlent aux nappes atmosphériques échappées des claviers. Un moment planant à passer assis ou allongé dans l'herbe.

Deftones
Doucement, on retourne vers la Grande Scène pour apprécier quelques chansons de Deftones. Le son est bon, il y a une bonne ambiance, et Chino Moreno, tantôt hurlant, tantôt chantant, ravit ses fans. Il faut pourtant repartir en direction de la scène Pression Live...

Trentemøller
Bien que son concert au Bataclan le 18 octobre 2010 ait laissé une impression mitigée, il fallait aller revoir Trentemøller. Mais le même reproche survient : de sa voix trop forte, la chanteuse casse l'ambiance trippante développée par le DJ et ses musiciens. Après une hallucinante version post-rock de Miss You (une tuerie) et l'enchaînement avec Take Me into Your Skin, on préfère rejoindre la Grande scène pour le concert de clôture.

Archive
C'est dans la même configuration qu'au Grand Rex en avril 2011 qu'Archive se présente à Rock en Seine : avec un orchestre symphonique qui donne une dimension particulière au rock progressif/trip-hop du groupe, mais qui ne s'est pas beaucoup fait entendre. Le show est davantage en place et le choix de setlist est presque parfait : Controlling Crowd, Fuck U avec une diffusion du son précise, You Make Me Feel et Sane ; ils ont joué System, Lines, Pills (version très rock) et Bullets un peu plus tard ; et Dangervisit a violemment pris aux tripes avant un final sur une version longue de Again. Le public s'est dispersé tout au long de la performance, mais celle-ci n'en a pas été affectée. Archive a, dans le froid, prouvé encore une fois que c'était un groupe de grands musiciens.


Bilan : l'édition 2011 de Rock en Seine n'a pas été si mauvaise. L'ensemble n'a définitivement pas été inoubliable, mais on demeure curieux de ce que les organisateurs réservent aux festivaliers pour les dix ans du festival l'année prochaine.

25/09/2011

I'm Still Here - Casey Affleck

À force d'entendre et de lire que la stratégie marketing de Casey Affleck et Joaquin Phoenix n'avait pas fonctionné, on en a entendu parler de I'm Still Here. Pourtant, au lieu de se délecter d'un tel échec, les médias auraient dû approfondir leur sujet et se pencher sur le film en lui-même et sur ce qu'il propose comme réflexion.


En 2008, Joaquin Phoenix annonce son retrait du monde cinématographique pour se lancer dans le hip-hop. Alors au sommet de sa gloire, il déclenche son impitoyable chute libre. Le poil long et le ventre rond de bière, Joaquin est méconnaissable. On ne sait pas si l'on doit être dégoûté ou attendri par ce personnage grincheux en pleine déchéance.
Et c'est bien de cela qu'il s'agit : on ne sait pas si l'on assiste à la véritable descente aux enfers de Joaquin Phoenix ou si ce documentaire est fabriqué. Peu importe que la vérité ait éclatée avant la sortie du film, on veut toujours y croire : la puissance des images, c'est qu'on se demande encore si c'est faux. Et dans les deux cas, Casey Affleck (beau-frère de l'acteur et réalisateur du film qui n'a décidément rien à envier à son frère Ben) montre son talent en même temps que celui de Joaquin : soit c'est vrai et c'est extrêmement touchant, soit c'est réfléchi et ça l'est très bien.
Les deux artistes, qui dénoncent au passage le système hollywoodien, jouent sur cette confusion entre le jeu et le réel. Ils travaillent les frontières. Ils troublent le spectateur. Mais finalement, n'est-ce pas ça le Cinéma ? Faire croire que le faux est vrai ?

Joaquin Phoenix est un très grand acteur.


Casey Affleck :
The Killer Inside Me

Ben Affleck :
The Town

22/09/2011

Submarine - Richard Ayoade



Richard Ayoade, réalisateur de séries télévisées et de clips, ajoute à sa filmographie Submarine, un film au ton vif et recherché sur l'adolescence, thème récurrent au cinéma. Il a fait d'un roman de Joe Dunthorne un long métrage indé décalé qui en agacera plus d'un, mais qui a certaines qualités incontestables.

La première, la bande originale. Signée Alex Turner (leader charismatique des Arctic Monkeys), elle est composée de ballades au piano et à la guitare qui se marient admirablement avec les images et l'histoire. Tout en retenue, Alex Turner prouve qu'un bon meneur peut aussi s'effacer quand il le faut, sans disparaître, dans l'intérêt d'un projet.
L'histoire, c'est celle d'Oliver Tate, un adolescent de 15 ans en plein roman de formation. Le film est construit comme un journal intime (voix off, ralentis, retours en arrière, arrêts sur image...) : Oliver, solitaire cultivé doté d'une imagination débordante, narre sa propre vie, en trois parties. Plutôt mature et désabusé, il garde cependant un côté attendrissant qu'il doit à son manque d'expérience. Sa petite-amie, Jordana, est aussi complexe et originale que lui ; et les jeunes comédiens Craig Roberts et Yasmine Paige donnent de l'épaisseur à leurs personnages.
Dans Submarine, les seconds rôles joués par les adultes ont également leur importance. Car le cynisme adolescent n'aurait pas le même impact sans la maladresse attachante des parents d'Oliver, provinciaux gallois finement interprétés par Sally Hawkins et Noah Taylor, ou la folie du nouveau voisin, ex de sa mère et probable futur amant de celle-ci. L'humour et le ton léger reposent donc beaucoup sur l'écriture et son interprétation, mais cette approche décontractée, presque détachée, cache pourtant des problèmes graves, comme la tromperie, les mensonges ou la dépression.

Un film charmant.


Sally Hawkins :

Noah Taylor :

21/09/2011

Melancholia - Lars von Trier

Terrence Malick a filmé la création dans The Tree of Life, Lars von Trier donne sa version de la fin dans Melancholia. Quand le premier s'attarde sur la naissance de l'univers et le travail de deuil, le second se concentre sur les instants précédant l'apocalypse et la dépression. Il parvient ainsi à faire passer des vérités sur la nature humaine grâce à la science fiction.

Lars von Trier annonce la sentence dès la succession de tableaux des quinze premières minutes, sur une musique prenante et envahissante de Wagner (Tristan et Ysolde). Un prologue qui montre, au travers de ces images au ralenti et chargées de références au lyrisme allemand (la plus évidente : Ophelia de Millais), quelques réactions humaines face à l'inéluctabilité de la mort. Une planète entre en collision avec la Terre, et la question que le réalisateur se pose, c'est de savoir comment la promesse d'un tel événement agit sur l'humanité. Il propose une réponse intime, en découpant son film en deux parties, analysant en particulier deux personnalités, celles de deux sœurs qui ont des visions opposées de la vie, dans deux temporalités différentes.
Justine (Kirsten Dunst) est dépressive, souvent absente d'elle-même. Claire (Charlotte Gainsbourg), à l'inverse, est très posée, pragmatique, rationnelle. Elles se détestent autant qu'elles s'aiment et sont condamnées à cette relation fusionnelle. Impossible de ne pas faire le rapprochement avec les deux planètes qui sont sur le point de fusionner. Claire représente la Terre et l'humanité : elle est impuissante, minuscule au sein de l'univers et panique au moment de la fin. Justine accepte sereinement le désastre qui s'annonce, parce qu'elle se place déjà en dehors de la société. Elle ne croit pas en l'humanité et a également participé, à son échelle, à la déconstruction de celle-ci pendant son mariage (on pense à Festen de Thomas Vinterberg). Sombre, son visage s'illumine quand la planète se rapproche. Elle est en phase avec elle. Il n'est pas anodin, d'ailleurs, que le corps céleste porte le nom Melancholia. L'étymologie du mot mélancolie parle d'elle-même : "melas" et "kholê" en grec signifient "bile noire". La mélancolie est une véritable maladie, c'est un mal-être profond exprimé par un désespoir intense, dont l'issue est, parfois, la mort. Il n'est pas étonnant donc que plus la trajectoire de la planète se précise, plus Justine se calme et plus son mal-être se transforme en soulagement.
En dehors des multiples considérations philosophiques qu'il est possible de faire sur le film et sur son personnage principal, Melancholia est cinématographiquement maîtrisé de bout en bout par Lars von Trier. La tension se lit dans les couleurs et dans les sons, dans les plans serrés très réalistes autant que dans les séquences décalées, dans le jeu des acteurs (Charlotte Rampling, John Hurt et Kiefer Sutherland font partie du casting) et dans le montage astucieux. Melancholia est un poème à l'inquiétante étrangeté. Nul doute que le scandale déclenché par Lars von Trier au Festival de Cannes lui a peut-être coûté la Palme d'or, facilitant la tâche au jury.

Il faut être assez sensible pour recevoir ce film sidérant et bouleversant, et assez fort pour ne pas sombrer dans la mélancolie.


John Hurt :

Charlotte Rampling :
Never Let Me Go